Le Centre: un mystère de la vie politique française
Par Elie Arié, Marianne 2, le 20 septembre...
Un premier point rend d’emblée perplexe : la multiplicité des « Centres », en France : Bayrou, Morin, Borloo, Arthuis, de Charette, Bockel, chacun à la tête de son petit parti centriste, j’en oublie sûrement...Pourtant, à l’école, j’avais appris qu’une circonférence n’avait qu’un seul centre... Essayons de déchiffrer ces nouvelles mathématiques modernes.
Sous les IIIème et IVème Républiques, c’était clair : face à la multiplicité des partis politiques, le « Centre » se confondait avec la notion de parti-charnière : celui qui, par son positionnement politique, était indispensable pour constituer une majorité parlementaire, qu’elle soit de droite ou de gauche, et qui vendait sa participation au prix de nombreux postes ministériels, aussi peu nombreux que fût son groupe ; stratégie astucieuse, résultant de l’impossibilité de constituer une majorité nette de droite ou de gauche après les législatives ; l’illustration en fut le parti radical-socialiste, pas plus radical que socialiste, comptant de moins en moins d’élus à mesure que les années passaient, mais dont rares furent les députés qui ne devinrent pas Ministres un jour ou l’autre.
Mais le système électoral de la Vè République, fait pour constituer une majorité après chaque législative, a mieux mis en évidence l’inanité idéologique de la notion de « Centre », l’objectif étant resté le même.
Les « Centres » attendent, pour exister, une législative dans laquelle ni la gauche, ni la droite, n’obtiendraient la majorité à l’Assemblée, et auraient besoin de leur appoint ; le cas ne s’est produit qu’une seule fois, en 1988, mais de justesse, et Rocard a pu le résoudre avec quelques débauchages individuels, sans avoir à passer un accord avec l’ensemble d’un parti centriste.
Disposés à venir au secours aussi bien de la droite que de la gauche, ils ne peuvent donc avoir de vraie doctrine politique ; ils se disent « humanistes », mais quel est l’homme ou la femme politique qui se prétendent « non-humanistes » ? Ils se disent « européens », ce qui ne mange pas de pain lorsqu’on se positionne entre un PS et une UMP qui ne le sont pas moins ; ils se disent « modérés », mais quel est le parti qui se prétend « immodéré » ? Du point de vue de leur définition « positive », c’est à peu près tout... c’est-à-dire, en somme, rien.
Ne restent donc que le discours et la pratique politiques, et qui sont, eux, franchement originaux.
Les « centristes » présentent cette particularité d’être tout à fait fidèles à la droite lorsqu’ils font partie du gouvernement, dont ils vantent sans réserves l’action, en bonne solidarité ministérielle ; mais, à l’approche des élections, de s’en séparer pour en dire tout le mal qu’ils en pensaient, dans un étonnant exercice de masochisme et d’auto-dénigrement rétrospectif ; ils pourront ainsi monnayer plus cher leur participation au futur gouvernement que le député ou le Ministre UMP lambda, nullement assurés, eux, de retrouver leurs postes après les législatives.
Reste une difficulté : avec les promesses très à la mode (mais jamais longtemps tenues) d’un « gouvernement resserré », les places deviennent moins nombreuses, surtout si on y ajoute la nécessité d’en réserver quelques unes aux femmes et aux « minorités visibles » (difficulté qu’on peut contourner en partie en cherchant des gens qui appartiennent aux deux catégories : Rama Yade, Rachida Dati...) ; il convient donc d’être non seulement membre d’un groupe centriste, mais aussi son chef, souvent le seul qui décrochera un maroquin : d’où la multiplication des Centres et de leurs candidats aux présidentielles (« le chef du MoDem est Ministre, mais moi aussi, je suis chef de mon parti ! Alors, si vous voulez qu’il vote les projets de loi que vous présenterez, il faut que je sois au moins Secrétaire d’ Etat»).
Au fond, la logique du « Centre », poussée à l’extrême, serait que chacun de ses membres soit chef d’un parti dont il serait l’unique adhérent : et on n’en est plus très loin...
Elie Arié, sur Marianne 2
Lire aussi: Le Cercle des Libertés Egales face à l'alliance des centres: http://libertesegales.canalblog.com/archives/2011/09/04/21934363.html