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Cercle des Libertés Egales
19 mars 2012

Roman russe

 

Editorial de Claude Imbert dans Le Point du 15 mars 2012...

Des élections dites "démocratiques", vous en trouvez dans 115 pays, et la très grande majorité d'entre elles installent des despotes. L'élection de Poutine n'est pas la pire. Certes, sa "démocratie dirigée" est à la démocratie ce que la liberté surveillée est à la liberté. Mais oublions, dans nos sarcasmes, cette niaiserie française qui veut qu'une démocratie à l'occidentale succède d'emblée à toute tyrannie. Sous nos yeux, l'islamisme brûle les bourgeons du printemps arabe. L'Histoire prend son temps. Et la démocratie aussi.

Pour régenter une immense Russie étirée dans l'espace comme dans la durée, Poutine allonge sur un troisième mandat de six ans son despotisme éclairé. Évitons les anathèmes expéditifs, et voyons que Poutine eût été élu sans les truquages patents du scrutin ! Voyons aussi qu'une opposition opprimée mais croissante peut défiler sous des pancartes "Poutine, dehors..." sans subir ni goulag ni canonnades à la syrienne.

Après des siècles de tyrannie, après trois générations d'un régime communiste qui fit rêver la moitié du monde et trembler l'autre moitié, après un Gorbatchev en syndic de faillite débordé par la faillite, après l'anarchie abyssale sous un Eltsine en goguette, Poutine est le premier "tsar" postsoviétique. Le "prince" d'une démocratie muselée mais non écrasée.

Il voit, ces temps-ci, monter contre lui l'impatience d'une classe moyenne urbaine et jeune, polyglotte et créative, née justement du miracle économique des années Poutine. Elle voyage sur Internet, refait le monde sur Facebook et veut refaire d'abord la Russie. Elle prend des forces. Elle a mis le tsar en minorité à Moscou. Et le temps tricote en sa faveur.

Mais Poutine, lui, est le passeur d'un peuple de 140 millions d'âmes, de ses icônes, de ses nouveaux boyards, de ses rêveries arrosées, de ses utopies fracassées, lourds icebergs flottant dans la mémoire populaire au gré du grand dégel. Poutine navigue, entre ses blocs, avec la hantise du "Titanic". Il est encore soutenu par le gros d'un peuple mutilé, vague et méditatif, errant dans cette "nation vacante" dont parlait Dostoïevski.

Avec sa tête européenne et son coeur slave, Poutine signe un nouveau chapitre du roman national. Il s'exhibe en Rambo athlétique comme le gardien provisoire d'un ordre fragile. Il ne quitte son bureau, en forme de cockpit d'avion, que pour parader en polymusclé, en Goldorak de lumière et d'acier pour préserver la Russie d'un démantèlement qui a déjà tué l'Union soviétique. Et laissé partir l'Ukraine, mère nourricière de la vieille Russie, les pays Baltes, la Géorgie et un quarteron de républiques asiatiques... Poutine est là pour soigner le grand chagrin russe, celui d'une Russie en peau de chagrin. D'un pays qui a rétréci et ne fait plus assez d'enfants.

Ancien KGbiste, il est le dernier rejeton du visionnaire que fut Andropov (1), l'égal pour la Russie de Deng Xiaoping pour la Chine. Il en prolonge la lucidité et les hantises. Il en garde le goût soviétique des polices secrètes et du jeu d'échecs. Mais il s'en détache, car il ne croit plus au messianisme russe. Il campe sur son précarré : un patriotisme nationaliste.

L'oligopole où il règne est une nomenclature de pouvoir et de fortune avec son clan saint-pétersbourgeois (comme Poutine) et son élite de vrais patriotes et de vrais requins qui fendent les rues en limousines noires à gyrophare. La corruption est générale, organisée, tarifée. Poutine y navigue en grand ordonnateur et d'aventure en grand inquisiteur.

Mais, au-delà des péripéties de sérail, Poutine conduit une troïka majeure : renaissance industrielle fondée sur le pactole gazier ; capital nucléaire ; modernisation à marche forcée des forces armées.

À l'extérieur il épouse, contre l'Occident, la solidarité de ressentiment des grands émergents. Mais une obsession, chez lui, domine. Celle de l'islam qui ronge, au Caucase, le Sud russe, qui alimente le foyer tchétchène et investit l'Azerbaïdjan, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan. Cette obsession étaie le regain de l'Église orthodoxe : 70 % des Russes s'y reconnaissent, même si moins de 10 % assistent à ses offices.

Poutine s'affiche, lui, en chrétien. Il avertit l'Europe chrétienne sur les dangers de l'islam. Il dénonce les illusions d'un printemps arabe libérant le regain islamiste. S'il soutient encore le boucher de Damas, c'est moins pour les intérêts d'une longue alliance que par crainte de voir, sur un Assad effondré, la vague sunnite déferler d'Alger jusqu'au Caire. Avec Assad, le Russe protège aussi les chrétiens d'Orient, pour la plupart orthodoxes...

L'ère de Poutine clôture, contre son gré, la puissance soviétique. Mais la suite est énigmatique. Bismarck a dit : "La Russie est toujours plus forte et plus faible qu'on croit." Poutine aussi.

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Par Claude Imbert
 

1. Voir "Le roman du siècle rouge", d'Alexandre Adler et Vladimir Fédorovski, très bien informé (éditions du Rocher).

 

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Commentaires
L
La Russie est ma patrie choisie! J'y ai voyagé pour célébrer en 2010, les années croisées France/ Russie. J'ai eu la chance d'assister à la première mondiale d'une création chorégraphique au Bolchoï par Angelin Preljocaj, chorégraphe aixois.<br /> <br /> J'ai eu l'occasion maintes fois renouvelées de discuter des soirées entières à Moscou avec des artistes, intellectuels et politiques Russes. D'abord, on peut discuter de TOUT!!!<br /> <br /> La parole est libre, n'en déplaise à nos "procureurs".... !!!! J'ai assisté à une nuit de musique électronique sur la Place Rouge noire d'une jeunesse décomplexée et exprimant une vraie joie de vivre alliée à une belle énergie!!! J'ai vu des Russes, cadres pressés,s'arrêter pour caresser le museau d'un chien en statue de bronze accompagnant un soldat de bronze aussi, sans doute héros de la seconde guerre mondiale, à la station Place de la Révolution dans le métro. <br /> <br /> Comme un rite immuable.Le temps arrêté..<br /> <br /> Toujours dans le métro, j'ai vu de tous jeunes enfants fleurir la stelle à la mémoire des victimes des attentats.<br /> <br /> Dans les souterrains, sous les avenues embouteillées nuit et jour de limousines mais aussi d'Allemandes, j'ai vu des bols et autres faïences à l'effigie de 3 personnages: Medvedev, Poutine et.... Sarkozy!!!! Les vendeurs nous saluant d'un " good Sarkozy"!!!'<br /> <br /> J'ai rencontré un chauffeur de taxi qui a refusé que je paye la course parce que j'avais pris soin de lui parler en Russe.... J'ai appris de très vieilles personnes qui viennent tous les jours vendre leurs quelques légumes et fleurs de leurs modestes datchas que ce n'est pas seulement par besoin car leur retraite a fondu, mais avec le bonheur d'être vieilles, de n'être pas mortes jeunes...grâce,m'ont elles dit au....goulag!!! Car quand on a survécu au goulag, c'est un signe de force et un bonheur de voir le monde!!!!<br /> <br /> J'ai vu au Kremlin, des files ininterrompues de Russes venus de chaque République, en familles, apporter une offrande, un bouquet de fleurs souvent, pour l'anniversaire de Medvedev, comme autrefois devant le mausolée de Lenine aujourd'hui déserté... Les Moscovites m'ont expliqué que pour l'anniversaire de Poutine, les files d'attente sont encore plus longues!!! J'ai vu de jeunes punks déclamer du Pouchkine devant la statue du poète. J'ai vu les églises pleines de toutes les classes sociales lors des offices à la sortie des bureaux de Moscow City!!! Les cadres pressés n'y passent que quelques minutes mais y passent!!!J'ai vu des files immenses de tous les véhicules possibles, de la limousine en passant par la Mercedes aux vitres noires et l'antique "pobieda" sovietique, le long des routes bordant les forêts infinies pour participer tous ensemble au rite de la "chasse silencieuse",la cueillette des champignons!!!!<br /> <br /> Je n'ai pas osé aller à la fête d'anniversaire organisée par un oligarque dans l'ancienne morgue de l'hôpital de Moscou!!!!! <br /> <br /> Voilà quelques images de Russie.<br /> <br /> Ma rencontre plus tard avec Stepan Soljenitsyne m'a confirmé un peu plus le mystère de son père, cet immense écrivain, du pays qu'il vénérait et de l'âme de ce pays et de ce peuple. Toutes nos références s'y égarent souvent!<br /> <br /> Le récit de Dominique Fernandez sur son voyage en Transsibérien, ne dit pas autre chose...Dans quelques jours, je recevrai après D Fernandez,Hélène Carrère d'Encausse et je prendrai encore une fois le " pouls" de cet empire éclaté!!!!<br /> <br /> Un poète Russe a dit: " On ne peut comprendre la Russie, on ne peut que croire en elle".<br /> <br /> Avis à nos petits donneurs de leçons!!!
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