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Cercle des Libertés Egales
30 octobre 2015

Discours de Sarkozy à l'Institut des Relations Internationales de Moscou

 

Monsieur le Recteur, Cher Anatoli Torkounov,

Mesdames et Messieurs, et si vous me le permettez, Mes chers amis,

Je mesure l’honneur qui m’est fait aujourd’hui de m’exprimer devant vous, dans ce prestigieux établissement, héritier d’une longue histoire et symbole de l’excellence universitaire et intellectuelle russe.

Je veux vous dire le plaisir qui est le mien d’être ici, à Moscou, dans cette ville que j’aime, cette ville à l’atmosphère envoûtante, Moscou, qui ne ressemble à aucune ville au monde.

Je suis un passionné de la Russie. Pour son histoire d’abord. Votre histoire, riche, complexe, tumultueuse.Une histoire qui est celle d’un grand pays, d’un grand peuple, qui au fil des siècles, a bâti une civilisation à nulle autre pareille, une civilisation qui a contribué à façonner le destin de l’Europe et du monde.

Je suis un passionné de la Russie, pour sa culture, les plus grands peintres, les plus grands écrivains, les plus grands musiciens, c’est ce que nous avons en commun, nous, les Russes et les Français. Quand on compte dans son Panthéon culturel, Tolstoï, Dostoïevski et tant d’autres, on ne peut pas être considéré comme un pays comme les autres.

Et enfin, je suis passionné par la Russie, pour l’esprit russe. Il y a par-delà la diversité, les oppositions, les drames, il y a, j’en suis persuadé, une âme russe. Cette âme russe qui fait de la Russie une Nation unique.

La Russie a une identité européenne c’est incontestable, mais la Russie n’est pas que européenne. Parce que la Russie a une part d’elle-même en Asie, mais la Russie n’est pas asiatique. Certains disent que la Russie est eurasiatique ; moi je crois que la Russie est tout simplement russe, c’est-à-dire réductible à aucun autre ensemble de nations. Et c’est un Français qui vous le dit. Les Français peuvent comprendre cette unicité de la Russie qui n’est réductible ni à l’Europe, ni à l’Asie car la Russie a sa destinée propre, parce que la Russie a sa vocation propre.

Ma conviction – et je n’ai jamais changé sur ce point – c’est que la Russie est indispensable au monde. Sans la Russie, et il faut que vous en soyez convaincus, nous ne pourrons pas relever les grands défis et les immenses crises auxquels nous sommes confrontés.

Oui, le monde a besoin de la Russie. Et ceux qui ont oublié cela, notamment aux cours des dernières décennies, quand votre pays se reconstruisait après la terrible expérience totalitaire, ceux qui ont oublié le rôle fondamental de la Russie ont commis une lourde erreur.

Cette erreur, la France ne l’a pas commise. Parce que la France, comme la Russie, est fière de son histoire, fière de sa culture, fière de son esprit.

Mon premier message, c’est quelles qu’aient été les vicissitudes de l’histoire, que soit les points d’accord ou de désaccord entre nous, le peuple russe est un grand peuple. La Russie est un grand pays, et vous, la jeunesse russe, vous ne devez pas craindre d’être fière de son identité. Avoir une identité, c’est un patrimoine irremplaçable. Cette identité ne doit pas être une source d’agressivité, mais doit être une source de fierté et de confiance en soi.

 Dans le respect mutuel, dans la reconnaissance de ce que sont nos deux pays, nous devons travailler main dans la main. La Russie n’est pas une page blanche, vous êtes les héritiers d’une longue histoire qui vous donne beaucoup de possibilités, de droits mais qui vous crée également des responsabilités.

 

Je veux vous dire une deuxième chose : je suis l’ami de la Russie, je n’ai pas l’intention de changer. Cela m’a parfois été reproché, pas ici. Je serai toujours votre ami, mais un ami sincère. Car un ami n’est pas celui qui dit ce que vous voulez entendre, n’est pas celui qui s’incline, n’est pas celui qui se soumet. Un ami, c’est quelqu’un qui a des convictions et qui les met au service d’un projet. Le projet c’est l’entente entre nous. Et donc le véritable ami, c’est celui qui parle franchement. Se dire la vérité, entre amis, ce n’est pas seulement une possibilité : c’est un devoir.

 Et c’est donc avec cette exigence de vérité, que je vous parlerai aujourd’hui.

Je le ferai d’autant plus ici, dans ce lieu chargé d’histoire, qui depuis des décennies donne à la Russie ses plus grands diplomates et ses plus grands experts en relations internationales.

 Je sais que je parle ici devant celles et ceux qui, demain, auront la charge de faire vivre la relation de la Russie avec le monde. C’est une responsabilité très lourde, car le monde dans lequel vous allez vivre est beaucoup plus complexe, beaucoup plus interdépendant, beaucoup plus instable que le monde que j’ai connu ; mais – pour les passionnés que vous êtes – la complexité doit être un élément de la passion. Cette complexité va rendre votre tâche encore plus exaltante.

 Parmi ces relations, il y aura la relation de la Russie et l’Europe et la relation de la Russie et de la France.

 Depuis le voyage de Pierre le Grand à travers l’Europe, les relations entre la Russie et l’Europe ont joué pour nos pays un rôle structurant. Il y a eu des moments d’entente très forte, comme lorsque nos deux peuples se sont battus contre la barbarie nazie à laquelle les Russie ont tant contribué. Nous avons connu des moments de tension extrême, comme lors de la guerre froide qui a figé notre continent en deux camps opposés près à faire parler les armes pendant 40 ans. Nous sommes les héritiers de cette histoire. Le combat commun contre les nazis et ce continent, le nôtre, séparé par un mur, prêt à se faire la guerre.

Et trois décennies après, on se retrouve ici pour parler du futur à un moment où la Russie et l’Europe viennent une nouvelle fois de traverser une épreuve, dont nous ne sommes pas complètement sortis. Ce n’est pas le lieu de revenir sur les causes, les conséquences, les responsabilités de chacun.

Nul n’a le pouvoir de changer le passé. Ce qui m’intéresse, aujourd’hui, c’est l’avenir. Et comme à chaque fois qu’il y entre nous des incompréhensions ou des désaccords, il y a deux voies, il n’y en a pas trois, il y en a deux: soit on fait la confrontation, soit on fait le dialogue. Soit c’est l’éloignement, soit c’est le rapprochement.

Je suis un homme qui n’a pas peur de la confrontation. Mais je veux dire aujourd’hui, qu’entre nous, il faut choisir le rapprochement et le dialogue. Parce que l’éloignement est une erreur : les pays ne changent pas d’adresse et la France et la Russie ont besoin de travailler ensemble. Dans le monde qui est le nôtre, nous ne devons à aucun prix accepter une nouvelle guerre froide. Une nouvelle guerre froide serait une défaite pour vous et pour nous. Une nouvelle guerre froide n’aurait aucun sens après que tant de gens soient morts pour que vous soyez libres et pour que notre continent européen connaisse la paix. .

Mais je veux aller plus loin: isoler la Russie n’a aucun sens. Il faut parler à la Russie, surtout lorsqu’on n’est pas d’accord avec elle. Parler lorsqu’on est d’accord sur tout, c’est sympathique mais la conversation ne va pas très loin. Je veux insister sur ce point fondamental : entre la Russie et l’Europe, entre la Russie et la France, le dialogue est indispensable : quand nous parlons, nous sommes plus efficaces et nous sommes plus intelligents.

Ce dialogue, bien sûr, n’est pas facile. Il n’est pas facile car il exige d’abord du respect mutuel, un effort pour dépasser nos préjugés, un effort pour laisser de côté nos idées toutes faites et nos incompréhensions. J’ai toujours voulu mener avec la Russie ce dialogue lorsque je présidais aux destinées de mon pays.

Mes chers amis, croyez-vous que nous étions d’accord sur tout, avec le Président Medvedev, lorsque je suis venu à Moscou en août 2008 ?

Croyez-vous que c’était facile de prendre l’avion pour Moscou, quatre jours seulement après l’entrée des troupes russes en Géorgie ? Nombreux étaient ceux qui me disaient : « N’y vas pas ! Ne t’expose pas ! ».

Il faut que je vous dise : il y a deux conceptions du métier de diplomate. Ceux qui pensent que les diplomates doivent faire semblant de faire quelque-chose, et ceux qui pensent comme moi, que les diplomates ont l’obligation de faire quelque-chose.

Si vous choisissez le métier de diplomate pour ne rien faire, faites autre-chose. Vous allez vous ennuyer. Si vous voulez peser sur les éléments, alors vous serez un bon diplomate. On me disait que c’était trop tard pour dialoguer, que cela ne servirait à rien, qu’on n’aboutirait à rien. Une fois que les Russes ont pris la décision, ils ne cèdent pas.

Et je vous donne ma parole que lorsque je suis arrivé à Moscou, je ne savais pas si nous allions parvenir à trouver une solution. Je savais que je devais déjeuner avec Medvedev. Je ne savais pas encore qu’il y avait Vladimir Poutine aussi. Il faut un bon appétit avec deux interlocuteurs en face. Ce que je savais, et je n’ai pas changé, c’est qu’on ne résout pas une crise en faisant des communiqués de presse. Ce que je savais, c’est qu’on ne pouvait pas sortir de la crise, sans se parler, c’est pour cela que je suis venu à Moscou ; pour comprendre et je pensais qu’il y avait beaucoup plus de risques à venir qu’à ne pas venir.

 Le compromis que nous avons conclu alors n’était sans doute pas parfait... je le reconnais bien volontiers. Mais quel compromis est parfait ? Mais il sauvegardait l’essentiel et il a permis de sortir de l’implacable logique de la confrontation et de l’éloignement. Personne n’a perdu la face. Ni les Russes, ni les Géorgiens, ni l’Europe que je présidais à l’époque.

 Aujourd’hui, alors que la relation entre l’Europe et la Russie est à nouveau mise à rude épreuve, il serait stupide de ne pas le dire et il serait insensé de ne pas le reconnaitre. L’implacable logique de la confrontation s’est à nouveau enclenchée, le courage est de ne pas céder à la logique de la confrontation et de mettre en place la logique de la coopération et du rapprochement. C’est cela le courage. C’est si facile de rester derrière son château fort. De refuser d’entendre l’autre et de rester les bras ballants devant ce gâchis que représente pour la Russie comme pour l’Europe ce différend.

 Nos destins sont liés. Je veux vous dire d’ailleurs que je n’ai jamais été de ceux qui craignaient le retour de la Russie sur la scène internationale. Parce que j’ai toujours pensé que le destin de la Russie, c’est d’être une grande puissance mondiale et non pas une puissance régionale comme j’ai récemment entendu le dire. Quand on regarde l’histoire de votre pays, la puissance de votre culture, la force de la jeunesse russe, c’est un fait, la Russie a vocation à être une puissance mondiale. Et c’est un Français encore une fois qui vous le dit, qui a toujours pensé que la politique étrangère de la France avait vocation à l’universalité.

 Mais quand on est une grande puissance mondiale, on a des responsabilités qui sont du même niveau, c’est-à-dire mondiales. Etre une grande puissance mondiale, c’est plus de charge qu’être une puissance régionale.

 Quelle vision du monde la Russie veut-elle promouvoir ?

Est-ce un monde qui privilégie la force, l’affrontement, l’exclusion ?

Est-ce au contraire un monde qui recherche le respect du droit, le dialogue, la coopération ?

 Quand on n’est pas une puissance mondiale, on n’a pas besoin de se positionner sur ces sujets. Vous êtes une puissance mondiale, donc vous devez vous positionner sur ces sujets.

Je suis convaincu que, dans le monde d’aujourd’hui, le respect du droit international, le choix systématique du dialogue qui est l’apanage des forts, car les faibles ne dialoguent pas, la recherche permanente de la coopération est la seule voie raisonnable pour la grande Russie qui a vocation à aider et participer à la paix du monde.

Toute autre voie ne serait conforme ni à votre histoire, ni à votre statut.

 Ce n’est pas un propos de circonstance. Je me souviens qu’en 1966, lors de son voyage ici, à Moscou, en pleine guerre froide, le général de Gaulle avait déjà proposé la voie de la détente, de l’entente et de la coopération. Il avait une fois de plus raison et nous étions, à l’époque, en plein guerre froide, beaucoup plus difficile qu’aujourd’hui.

 Je n’oublie pas non plus la bataille menée en commun par la France et la Russie, avec d’autres – je pense notamment à l’Allemagne – en 2003 pour plaider le respect du droit international lors de l’affaire irakienne.

 Je ne prétends certainement pas donner de leçon, ni ériger qui que ce soit en modèle. Mais je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt d’une grande puissance mondiale, comme la Russie, de s’engager dans une rhétorique de confrontation, de privilégier la force ou de mettre en danger l’un des principes fondamentaux du droit international, celui du respect des frontières internationalement reconnues. C’est ma conviction. Elle est parfaitement cohérente avec l’idée que je me fais de la Russie.

Et c’est parce que je me fais l’idée de la Russie comme étant l’un des plus grands pays du monde que je dis au plus grand pays du monde, vous ne pouvez pas vous exonérer, et nous ne pouvons pas nous exonérer des responsabilités internationales. Car quand on est fort et qu’on s’en exonère, cela peut créer de l’incompréhension, de la crainte et de la méfiance.

 Ce fut une erreur de ne pas traiter la Russie comme la grande puissance qu’elle n’a jamais cessé d’être par-delà les vicissitudes du court terme, au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique. Mais cette époque est révolue. Aurais-je pensé qu’un jour je pourrais parler librement dans un amphithéâtre bondé d’une des plus grandes universités de Moscou ? Cette époque est révolue. Plus personne aujourd’hui ne conteste que la Russie est aujourd’hui une grande puissance mondiale.

 Mais il faut aussi prendre garde à l’excès de confiance en soi. C’est à ce moment-là que l’on commet les erreurs. Depuis Napoléon, qui croyait sa grande armée invincible en 1811, jusqu’à ceux qui ont cru que le monde était devenu unipolaire il y a quinze ans. C’était la fin de l’Histoire. L’excès de confiance en soi n’est jamais positif.

 Je n’ai jamais sous-estimé la Russie : même lorsqu’elle se débattait dans de terribles difficultés, je n’ai jamais oublié que la Russie était la Russie c’est-à-dire un grand pays, un grand peuple, capable d’incroyables redressements. On vous croit à terre, on vous croit abattus, et tout d’un coup la Russie se révèle plus fort qu’avant. Peu de peuples dans le monde ont donné dans l’histoire des exemples de hauts aussi haut et de bas aussi bas que la France et que la Russie.

 Aujourd’hui, j’en ai la conviction, ce n’est qu’ensemble que nous pourrons résoudre les crises qui divisent le monde. Lesquelles ?

 C’est vrai pour la Syrie. Le mot n’est pas tabou.

 Je suis de ceux qui ont toujours dit que la Russie était incontournable pour trouver une issue à la crise syrienne.

J’ai appelé dès l’été 2012 à une action résolue de la communauté internationale en Syrie. J’avais été critiqué alors. Et pourtant à l’époque, il y a avait encore une opposition modérée puissante, et il n’y avait pas Daech.

Depuis des mois, je plaide pour qu’une coalition des puissances de la région intervienne au sol avec le soutien de la communauté internationale. Car nous savons tous ici et ailleurs que les frappes aériennes ne peuvent suffire. Rien n’a été fait.

C’est d’autant plus regrettable que plusieurs de nos partenaires dans la région y étaient prêts ; personne ne peut se satisfaire de la situation actuelle.

 Chacun voit bien, il n’y a pas besoin d’être spécialiste, qu’on ne pourra pas continuer avec deux coalitions parallèles en Syrie. Comme si la situation en Syrie n’était pas déjà assez compliquée, qu’il fallait deux coalitions internationales, qui ne partagent qu’une partie de leurs objectifs et qui s’affrontent sur les autres.

 L’enjeu, aujourd’hui, c’est donc de réunir ces deux coalitions en une seule. Car c’est la condition d’une victoire militaire sur les barbares de Daech. Et parce que c’est aussi le seul moyen d’aboutir à une solution politique : une coalition internationale avec la Russie qui joue à l’intérieur un rôle incontournable.

 La rencontre de Vienne est un premier pas, mais qu’il me soit permis de faire trois remarques.

 

La première porte sur ce que doit être notre objectif commun : anéantir Daech. Oui Daech est l’ennemi de tous les acteurs engagés dans le conflit syrien. Mais si Daech est notre ennemi commun, alors le combattre doit être notre priorité à tous. Et si l’objectif est de l’anéantir, alors il faut s’en donner les moyens. Cela implique de frapper Daech, et de le frapper en priorité. Mais cela implique aussi de laisser vivre l’opposition nationaliste – car c’est une source potentielle de forces combattantes pour l’affronter.

 Comprenez-moi : si l’objectif est d’engager un dialogue entre les deux coalitions pour préparer une solution politique, alors ce rapprochement et les prémices d’une coopération à venir ne pourront véritablement se sceller que dans la lutte contre notre ennemi commun, Daech.

 J’ajoute qu’une solution politique en Syrie passera nécessairement, et d’abord, par une réconciliation des Syriens entre eux ; ce qui inclut évidemment les Syriens qui combattent aujourd’hui dans les rangs de l’opposition nationaliste.

 Tout cela plaide pour concentrer aujourd’hui les frappes contre Daech.

 Deuxième remarque, il existe une autre difficulté à surmonter dans le rapprochement des deux coalitions, et il concerne l’avenir de Bachar Al-Assad. Sur ce point, j’ai toujours été très clair. Ma conviction, c’est que quelqu’un qui a sur la conscience la mort de près de 250.000 de ses compatriotes ne peut pas représenter l’avenir de son pays.

 A un moment, il devra partir. Car jamais la réconciliation syrienne ne pourra se faire autour de lui. Et jamais les puissances régionales, notamment sunnites, n’accepteront de s’engager dans un processus dont le seul horizon serait son maintien au pouvoir comme si de rien n’était.

 Pour autant, j’ai toujours dit, aucune solution politique ne serait possible sans un accord avec des éléments du régime. Car rien ne serait pire que de refaire l’erreur qui a été commise en Irak, où en refusant d’intégrer ou de donner ne serait-ce qu’une perspective à tous ceux qui avaient de près ou de loin travaillé avec le régime, on a créé les conditions d’une guerre civile et poussé des populations entières dans les bras des islamistes.

 La conséquence, c’est qu’il ne faut évidemment pas attendre que Bachar el-Assad parte pour commencer à discuter avec les éléments du régime. Son départ ne doit pas être un pré-requis puisque la discussion a justement vocation, entre autres, à organiser les modalités et le calendrier de son départ.

 Bien sûr qu’il faudra organiser des élections un jour. Mais dans un pays plongé dans le chaos et la guerre, qui s’est déjà vidé de plus 4 millions de ses habitants et qui compte 7 millions de déplacés – c’est-à-dire dont la moitié de la population a été contrainte à l’exil – il n’est pas possible d’organiser des élections crédibles.

 Enfin je voudrais vous faire part d’une troisième conviction : dans cette discussion qui s’engage, l’Europe, et la France en particulier, peuvent apporter une contribution décisive. Parce que l’histoire qui nous lie à cette région et la relation privilégiée que nous avons construite avec les acteurs régionaux peuvent aider à faire émerger une solution.

 Exclure la France serait une grave erreur. De même que ce serait une erreur pour l’Europe de s’exclure. Nous ne pouvons pas diviser nos efforts. L’enjeu est trop important. Je n’ai pas aimé que la France et l’Europe ne soient pas représentées à Vienne, et je suis heureux des derniers développements qui semblent aller dans le bon sens. Ne doutez pas que l’enjeu c’est de reconstruire la confiance entre l’Europe et la Russie.

 J’ajoute que la coopération entre l’Europe et la Russie sur la résolution de cette crise majeure sera une étape décisive pour reconstruire la confiance entre nous.

 L’enjeu aujourd’hui, c’est de reconstruire la confiance entre l’Europe et la Russie, que les derniers mois ont ébranlée. Et cela passe par le règlement d’une autre crise, qui est à l’origine de notre éloignement : je veux bien sûr parler de la crise ukrainienne.

 Je ne reviendrai pas sur les événements qui sont à l’origine de ce conflit, chacun ici les connait. Cette crise, il faut maintenant en sortir.

 Cela passe par la mise en œuvre de l’accord de Minsk. Dans son intégralité. Ces accords auraient dû être conclus beaucoup plus tôt mais ils n’en offrent pas moins le seul cadre capable de surmonter cette crise si grave. La Russie doit utiliser toute l’influence qui est la sienne pour faire en sorte que les séparatistes appliquent l’accord. De ce point de vue, le report des élections unilatérales prévues en octobre est une étape majeure qui montre que l’on peut avancer.

 Le gouvernement ukrainien aussi doit faire la part qui lui revient.

 La situation est fragile, mais nous sommes sur le bon chemin. Et je crois que le moment est venu d’ouvrir des perspectives claires, pour une levée prochaine – au moins progressive – des sanctions, les nôtres comme les vôtres, si le cessez-le-feu, les gestes d’apaisement et la mise en œuvre de Minsk se poursuivent. Ne perdons pas la dynamique positive qui s’est engagée ! Il faut définir des mesures précises qui permettront, si elles sont respectées, de commencer à retirer les sanctions.

 Nous avons une chance de tourner la page de ce drame. Nous ne devons pas la laisser passer.

 Au-delà des crises que j’ai évoquées, il faut penser l’avenir. L’avenir c’est quelle relation voulons-nous pour les 20, les 30, les 50 prochaines années entre l’Europe et la Russie ? C’est ça le problème. Bien sûr il y a la Syrie, bien sûr il y a l’Ukraine mais quelles sont les relations ? Moi je comprends bien que les Etats-Unis d’Amérique n’ont pas le même souci des relations avec la Russie que nous. Nous sommes voisins, nous sommes l’Europe, vous êtes l’Europe et l’Asie, vous êtes la Russie, mais quelles sont les relations que nous allons construire ? Est-ce que l’on va continuer à osciller entre l’affrontement, la méfiance ou des perspectives illusoires de constituer un ensemble où tout le monde serait intégré comme si tout le monde se ressemblait ? C’est le futur de notre pays, c’est le vous qui devrez imaginer cela. Moi je pense qu’il faut rénover les rapports entre la Russie et l’Europe.

 Depuis longtemps, je plaide pour la construction, entre l’Union européenne et la Russie, d’un nouvel et véritable « espace économique et humain », qu’il y a à inventer, d’égal à égal, Russes et Européens. Nous pourrons bâtir, dans une relation institutionnelle et en même temps faite de décisions concrètes, un nouvel espace où nos intérêts économiques et la possibilité de circuler entre la Russie et l’Europe appartiendront à des règles nouvelles. Alors je sais bien que dire cela au moment où on a du mal à se parler ça peut sembler utopique mais j’ai toujours pensé que les grandes crises au fond c’était de formidables opportunités. Et vous devez comprendre cela, quand il n’y a pas de crises, c’est toujours le conservatisme et l’immobilisme qui gagnent. Quand il y a une crise, c’est le seul moment où les forces du changement, pour éviter le précipice, sont en œuvre. Profitons de cette crise pour imaginer le cadre futur de cet « espace économique et humain » que j’appelle de mes vœux entre la Russie et l’Europe.

 Ce que nous venons de vivre rend ce processus plus urgent et nécessaire que jamais. Et cet espace économique et humain nous permettrait de coopérer sur l’énergie, sur les infrastructures, sur les relations commerciales, culturelles, sur la circulation des personnes, sur l’échange des étudiants. Non pas de façon exceptionnelle, mais de façon structurelle.

Je sais bien qu’il y a une tentation russe de se tourner vers l’Asie. Elle est naturelle, parce que la géographie a fait de la Russie voisin de l’Asie. De la même manière que, par la géographie comme par l’histoire, l’Union européenne, de son côté, est attachée à sa dimension euratlantique. Nous aussi nous avons une tradition et nous avons des liens du sang avec les Etats-Unis d’Amérique du fait des guerres. Mais ce n’est pas exclusif. Vous pouvez avoir des liens avec l’Asie, nous pouvons avoir des liens avec les Etats-Unis, mais enfin l’Union Européenne c’est le premier partenaire commercial de la Russie, nous sommes votre premier fournisseur et votre premier client. C’est absurde de vouloir choisir entre l’Asie et l’Europe comme il serait absurde de devoir choisir pour nous entre le lien atlantique et le lien avec la Russie. 

 Et plus encore parce que la Russie au plus profond d’elle-même, de sa culture, de son identité, est  européenne. Mais la Russie dans son histoire a été forte lorsqu’elle faisait le choix de l’alliance avec les autres Européens, et j’aimerai qu’on me dise à quel moment de l’histoire de la Russie la confrontation entre la Russie et les Européens a été positive pour vous. Jamais. Notre destin c’est celui-là, celui de ce lien singulier.

 Réinventer la relation entre l’Union européenne et la Russie impliquera également faire de notre « voisinage commun » un champ de coopération et par pitié pas un champ de rivalité. La politique de voisinage de l’Union et le Partenariat oriental ne doivent plus être vécus comme une agression mais comme une opportunité de coopération. Je voudrais que disparaissent du vocabulaire international les mots « sphères d’influences ». Je sais ce que c’est que les sphères d’influences. Ça veut dire qu’il y en a qui sont moins libres que d’autres. Et les sphères d’influences, c’est la guerre froide et la guerre froide c’est fini. 

 Pour ma part j’ai toujours été clair : je suis convaincu que les pays des Balkans ont vocation à rejoindre un jour l’Union européenne s’ils le souhaitent, je l’ai toujours dit; de même que j’ai toujours été très clair sur le fait que des pays comme l’Ukraine et la Géorgie sont des ponts entre la Russie et l’Europe et qu’ils n’avaient pas vocation à rejoindre une alliance militaire ou intégrer une union politique. Je l’ai toujours dit, je l’ai toujours pensé, mes amis peuvent en porter témoignage, je n’ai jamais changé.

 Quand on est un pays qui est un pont, prenez la Turquie, c’est un pont entre l’Asie et l’Europe. Si vous intégrez la Turquie à l’Union Européenne, vous coupez ce pont d’une de ses rives. Est-ce que vous croyez qu’un pont qui ne va pas de l’autre côté de la rive a une utilité ? Elle n’en a aucune.

 L’Ukraine est un pont entre la Russie et l’Europe. D’ailleurs une partie non négligeable, 30 à 35% des Ukrainiens sont des russophones. C’est donc un pont. Et je m’en étais expliqué à l’époque en accord avec la chancelière Merkel, avec le Président Bush, qui voulait que l’Ukraine et la Géorgie intègrent l’OTAN. Je ne voulais pas donner le sentiment à la Russie d’un encerclement. C’est pourquoi je voudrais qu’on abandonne la théorie des sphères d’influence.

 Enfin, et j’en finirai par-là, je pense qu’il va falloir rénover l’architecture de sécurité et de défense de notre continent. Je ne veux pas balayer l’existant : je pense au Conseil OTAN/Russie, ou aux coopérations ponctuelles de défense avec l’Union européenne ; je pense à l’OSCE, seule enceinte qui rassemble sur un pied d’égalité tous les acteurs de ce qu’on appelle la sécurité paneuropéenne.

 Mais disons les choses comme elles sont, ces organismes sont au point mort aujourd’hui. Ces forums sont utiles mais ils souffrent d’une trop grande dispersion, d’un manque total de cohérence. Et surtout, ils souffrent d’une chose, ils sont trop marqués par le contexte historique dans lequel ils ont vu le jour, la Guerre froide ou ses lendemains immédiats.

 Ce n’est pas parce qu’une institution existe depuis des décennies qu’on doit la conserver telle quelle. On doit conserver le but, l’objectif. Mais on doit faire évoluer ces forums et je regrette que la réflexion amorcée il y a six ans dans ce domaine n’ait pas aboutie. Je suis convaincu qu’il faudra la relancer.

 

Voilà mes chers amis, j’espère ne pas avoir été trop long. En résumé, je crois dans la Russie. Je pense que l’on doit parler aux dirigeants russes qui ont quand même fait un travail assez remarquable de modernisation de votre pays.

Je crois que nous devons collaborer Européens et Russes ensemble et je pense qu’il faut mettre derrière nous tout le vocabulaire et la rhétorique de la confrontation. J’espère que vous avez compris que pour moi être avec vous aujourd’hui n’était pas simplement un honneur, c’était également un grand plaisir.

 

Je vous remercie.

Nicolas Sarkozy

 

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Un discours qui fera date.
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