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Cercle des Libertés Egales
7 octobre 2016

A quoi ressemblerait une présidence Juppé?

FIGAROVOX/TRIBUNE - Franz Olivier Giesbert a consacré à Alain Juppé un documentaire sur France 3. Pour Frédéric Saint Clair, le candidat préféré des sondages fait figure de «super ministre du Budget», dont l'état d'esprit coïncide peu avec celui d'un chef d'État.


Frédéric Saint Clair est analyste en stratégie et en communication politique. Il a été chargé de mission auprès du Premier ministre Dominique de Villepin. Son livre, La refondation de la droite, vient de paraître aux éditions Salvator.


Franz Olivier Giesbert a dressé un portrait intéressant du candidat Alain Juppé, diffusé dernièrement sur France 3. On y perçoit l'intérêt de FOG pour l'homme qui se cache derrière le costume politique, et le documentaire révèle la conviction qu'a ce journaliste de la nécessité de mettre en lumière une part de «Off», de «vie privée», d'«intimité», afin que jaillisse la vérité d'un personnage. Juppé, pas si mou que ça, pas si policé que ça, pas si ennuyeux que ça. Le pari est réussi, car les clichés qui circulent depuis quelque temps sur ce gaulliste de centre droit, en tête des sondages pour les primaires, ont trouvé un sérieux démenti. Un démenti partiel cependant, car l'honnêteté du reportage ne peut éviter de mettre en lumière bien plus que ce que l'on saisit immédiatement. Essayons d'y voir plus clair.

 

Une des clés qui permet de comprendre la psychologie politique d'Alain Juppé, et qui traverse l'ensemble du reportage, se nomme «Budget». Elle peut, en simplifiant, résumer le type de président de la République dont la France bénéficiera s'il venait à être élu. La mécanique comptable de l'économie publique semble en effet n'avoir aucun secret pour cet énarque rigoureux, recruté par Jacques Chirac alors qu'il était en poste à l'Inspection générale des finances.

Un homme de conviction, droit dans ses bottes, un peu rigide, un peu vieillot dans ses manières, mais solennel, un peu «soupe au lait» pour reprendre les termes de son épouse, un homme incapable d'analyser le séisme politique que l'occupation d'un immense appartement rue Jacob, à deux pas du café de Flore, à Saint Germain des prés, pourrait générer, un homme convaincu que sa réforme de l'assurance maladie a été votée parce qu'elle était bien préparée et que celle des régimes spéciaux a échoué à cause de sa précipitation. Un homme attaché et accoutumé aux chiffres, aux procédures, aux mécanismes institutionnels, plus qu'au caractère fluctuant des êtres et des sentiments qui imbibent pourtant la politique. Il est probable qu'après quelques années à la tête de l'État, la France reçoive les félicitations de Bruxelles pour la gestion de ses comptes. Il est probable également que les Français réalisent qu'ils ont élu un super ministre du Budget, comme avec Nicolas Sarkozy ils avaient élu un super ministre de l'Intérieur.

 

Un état d'esprit de boutiquier, qui convient à vrai dire assez peu à la vision d'un chef d'État, surtout gaulliste.

 

Qu'en est-il de la méthode? Identique à celle de ses concurrents: «Tout dire avant pour tout faire après». Que traduit cette petite phrase dont la paternité revient à Nicolas Sarkozy et qu'Alain Juppé incarne admirablement?

Un état d'esprit de boutiquier, qui convient à vrai dire assez peu à la vision d'un chef d'État, surtout gaulliste. Gouverner par une série d'ordonnances rédigées avant la campagne dans un document qui n'a aucune valeur légale et qui ne sera pas lu par l'ensemble des Français, c'est laisser croire que le scrutin présidentiel validera en même temps le choix de l'individu, de sa politique générale telle qu'elle a été perçue et l'ensemble des mesures qui auront été annoncées. C'est une façon de dire aux corps intermédiaires, à l'opposition, etc.: ne vous opposez pas, car votre légitimité est celle des salariés/militants que vous représentez, alors que la mienne est celle du peuple qui m'a élu pour mener à bien des réformes qu'il a également avalisées. Ceci s'appelle une escroquerie intellectuelle, que rien ne justifie de surcroît si ce n'est l'incapacité de la classe politique à comprendre et incarner ce qu'est un pouvoir exécutif efficace.

Nicolas Sarkozy n'a pas pu mettre en œuvre son programme à cause de la crise financière. Alain Juppé ne mesure pas qu'il ne s'agissait pas d'un cas d'exception, qu'il est impossible d'y échapper.

Par ailleurs, Juppé le concède lui-même à Nicolas Sarkozy. Ce dernier n'a pas pu mettre en œuvre ce qu'il avait prévu en 2007 à cause du bouleversement issu de la crise financière de 2008. En disant ceci, il ne mesure pas qu'il ne s'agissait pas alors d'un cas d'exception, mais de la nature fluctuante et incertaine d'une conjoncture à laquelle il est impossible d'échapper. Cela s'appelle le réel. Il y aura toujours des crises qui empêcheront les prévisions habilement dessinées sur le papier d'être applicables stricto sensu. Cette attitude qui a saisi toute la droite témoigne d'une posture dangereusement idéaliste, alors que c'est de réalisme dont nous avons besoin avant tout.

L'extrême droite a amputé idéologiquement et intellectuellement la droite de toute une partie de son territoire et Alain Juppé a renoncé à le reconquérir.

Enfin, le dernier point sur lequel il convient de s'arrêter un instant concerne les combats politiques d'Alain Juppé, réitérés au moins à deux reprises durant le documentaire. Le premier, dit-il, est engagé contre la gauche, le second contre l'extrême droite. Sa politique tranche effectivement avec celle de la gauche, du point de vue économique du moins. En revanche, son combat contre l'extrême droite est inexistant. Non pas parce qu'il rallierait les thèses du FN sans le dire ; c'est en réalité tout l'inverse, il s'en tient bien éloigné ; et tout le monde l'aura bien noté.

Mais il n'y a pas combat. Il a déposé les armes. L'extrême droite a amputé idéologiquement et intellectuellement la droite de toute une partie de son territoire et Alain Juppé a renoncé à le reconquérir. Il se contente d'en prendre acte. C'est ce que signifie le concept «d'identité heureuse». Un refus du conflit. Julien Freund aurait dit, un refus du politique. Juppé est à droite ce que Jospin était à gauche, aveugle aux tensions identitaires qui traversent le pays. Jospin, qui pensait que l'emploi et le pouvoir d'achat étaient la cause de ces tensions, a échoué. Et cet échec a été un séisme. Juppé n'en a tiré aucune leçon.

Sa volonté de se démarquer à la fois du FN et de la communication agressive et clivante de Sarkozy combinée à un tropisme économique et budgétaire qui nie les questions identitaires a contribué à offrir aux téléspectateurs de France 3 l'image d'un homme parfaitement à l'aise dans un cadre créé sur mesure pour un reportage filmé. La réalité sera sans doute beaucoup plus brutale et incertaine. Il serait donc utile de retravailler ces dossiers...

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