Dans cent jours, la présidentielle
Extrait d’une tribune de Jean d’Ormesson - de l’académie française - dans Le Figaro du vendredi 13 janvier 2012.
Remarque préliminaire (qui n’a rien à voir) : Après Fitch, l’agence de notation Moodys vient de confirmer le triple A français. Sur les 3 agences dites « sérieuses », seule S&P a jugé bon de faire perdre un cran à la France. Cette décision - curieuse - est minoritaire, et le AAA de la France se trouve donc majoritairement et officiellement confirmé. Hollande et Bayrou vont-ils s’excuser ? Marc d’Héré
… C’est la première fois dans l’histoire de la Vème république que, bien loin d’être favori, le président sortant prend à ce point des allures d’outsider. Depuis près de trois ans, après le succès de 2007, Nicolas Sarkozy a descendu tous les échelons de l’impopularité. Trahi souvent par les siens, jaloux de sa supériorité, il a été cloué au pilori par tout ce qui pense et s’exprime dans ce pays. La presse, la radio, les chaînes de télévision publique et privée ne l’ont pas ménagé. Le Figaro, qui a été longtemps le principal ou le seul journal à défendre son action a été moqué, montré du doigt, traité ouvertement de Pravda sarkozyste…
…La dénonciation de Nicolas Sarkozy occupe et remplace tout discours politique. Il ne se passe pas de jours sans que des attaques violentes soient déclenchées contre lui. Quelques attaques de fond, ce qui est de bonne guerre, mais d’abord et surtout des attaques indéfiniment répétées, contre sa personne, sa façon d’être et de parler, sa famille et souvent son physique. Il est ridicule, hostile aux plus misérables, vendu aux plus riches, incapable de s’exprimer en Français, méprisé par les puissances étrangères. Il est- nous l’avons tous entendu de la bouche de ses adversaires – la honte de notre grande et vieille nation. Il est assoiffé du sang des pauvres. Il est le rebut de l’humanité.
En face, François Hollande. Il a un immense avantage : il n’a rien fait. Impossible de l’attaquer sur son action : il n’y en a pas. Elle se limite pratiquement à la Corrèze, dont il serait un peu vain de souligner qu’elle est le département le plus endetté de France. François Hollande n’a pas besoin de se forcer pour en faire le moins possible et pour se laisser porter par la vague de l’anti-sarkozysme. Il y a bien un programme du parti socialiste, mais chacun peut constater que c’est déjà beaucoup pour lui. Il l’adopte pour la forme, il s’en distingue subtilement. Non content de n’avoir rien fait, il s’acharne à ne rien dire qui puisse l’engager si peu que ce soit…Le seul argument de la gauche hollandaise est l’hostilité à Sarkozy…Pour mieux affronter Sarkozy, l’idéal pour Hollande, soucieux de ne faire aucune vague, serait de ne pas exister du tout. Il n’est pas très loin de ce rêve exaltant. C’est pour une absence de candidat, qui fera une remarquable absence de président que beaucoup de Français se préparent à voter.
Ce serait pourtant une erreur de limiter l’élection présidentielle à un duel Sarkozy – Hollande. Il n’est interdit ni à Marine Le Pen ni à François Bayrou de s’imaginer au second tour…
Dans un monde instable et changeant comme le nôtre, tout et n’importe quoi peut encore se passer. C’est dans les dernières semaines avant le scrutin que tout va se jouer. Alain Duhamel soutient que les Français sont sensibles à la personnalité de Hollande et aux réalisations de Sarkozy. Il ne s’agira plus, en fin de compte, de se laisser aller à de vagues sentiments de sympathie ou d’antipathie, mais de choisir une politique aussi cohérente et efficace que possible. Les paroles et les incantations devront laisser la place aux faits. Et les faits sont têtus.
La situation de la France est sérieuse. Elle l’est plutôt moins, non seulement que celle de la Grèce, de l’Irlande, de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie, mais aussi que celle de l’Angleterre isolée ou des Etats-Unis en proie eux aussi à un endettement gigantesque. Le chômage frappe mais il est contenu…Tout ne va pas bien dans une France frappée par une crise qui n’en finit pas, et où il y a beaucoup de pauvreté. Mais il n’est pas besoin de beaucoup d’imagination pour être convaincu que tout pourrait aller beaucoup plus mal. Il suffirait pour cela d’un gouvernement un peu faible, tiraillé entre des forces contraires. Une coalition où figureraient nécessairement, autour de François Hollande, les Verts de Mme Joly et le Front de gauche de M. Mélenchon n’est pas de nature à rassurer.
Sarkozy est loin d’avoir toutes les vertus et toutes les qualités. Il a pu se montrer léger, impulsif, inconséquent. Mais il est courageux, actif, intelligent et, malgré tant de calomnies, honnête. Et il est capable de corriger ses erreurs. Dans plusieurs domaines, contrairement à tous ceux auxquels il a succédé, il a essayé de réformer. Il a été le seul à s’attaquer au problème dramatique et apparemment insoluble des retraites, que tous ses prédécesseurs avaient évité avec soin. Il a eu le courage de tirer les conséquences d’une réalité incontestable : l’allongement de la vie humaine.
Réformer ne vous fait pas que des amis. Ses adversaires lui reprochent à la fois d’être impopulaire et trop peu courageux. Entouré de François Fillon, d’Alain Juppé, de plusieurs autres, il s’efforce de trouver le chemin étroit entre le courage et la popularité – et il privilégie le courage. Il n’agit pas en candidat. Il agit en chef d’Etat. N’en déplaise à ceux qui s’imaginent que l’hostilité à Sarkozy peut tenir lieu de programme et de politique, il a pris, dans cet exercice périlleux, des dimensions internationales. La victoire de Nicolas Sarkozy dans un peu plus de cent jours est loin d’être assurée. Contrairement à tant de pronostics, elle est loin d’être impossible. Elle constituerait, en tout cas pour le pays la solution de très loin la plus raisonnable et la seule sérieuse.
Jean d’Ormesson, de l’Académie française
Le Figaro du 13 janvier 2012.