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Cercle des Libertés Egales
27 janvier 2012

Anders BORG: on ne peut pas réformer dans un climat de confrontation

 

Les Echos, 26 01

Anders Borg : «On ne peut pas réformer dans un climat de confrontation »

Sacré meilleur gardien des comptes publics en 2011 par le Financial Times, Anders Borg, le Ministre suédois des Finances, livre aux Echos la recette du succès de son pays contre la crise.

Ecrit par
 
Jacques HUBERT-RODIER
Editorialiste diplomatique Les Echos
 
Massimo PRANDI
Journaliste
 
La Grèce
 

Les ministres des Finances européens éprouvent une profonde déception quant à l'application du programme du FMI. La Grèce a-t-elle même vraiment tenté de changer les choses ? Le sentiment commun est que non seulement la Grèce n'a pas appliqué ce qu'il fallait dans le domaine budgétaire, mais elle ne l'a pas fait pas non plus en matière de réformes. L'expérience de tous les pays en difficulté est qu'il est normal que les populations soient mécontentes. Mais in fine il faut faire ce qui est nécessaire, continuer sur la voie des réformes. La Grèce fait appel à d'importants financements extérieurs et il il serait inacceptable pour les contribuables européens que le pays ne respecte pas ses engagements. Il lui faut un soutien substantiel dès le premier semestre de cette année. Il est impossible de faire accepter par le Bundestag, ou par n'importe quel autre Parlement, l'idée de donner plus d'argent sans que la Grèce ne satisfasse ces exigences.

Il y a aussi une question de crédibilité pour la Commission européenne, pour l'Union européenne et pour la BCE. Il n'y a pas d'alternative. Il faut faire les réformes pour que cette économie redevienne compétitive. C'est une économie archaïque -sans registre cadastral, par exemple-, fermée aux importations, alourdie par les coûts des réglementations et un secteur public à la dette élevée. La triste vérité est que quand on a des déséquilibres aussi importants, il faut en passer par la réduction durable de la consommation intérieure et l'augmentation de la production. J'espère que la Grèce réalisera les réformes de sorte que les pays européens aient des arguments pour continuer à l'aider. Il faut finaliser un accord de décote de la dette avec les créanciers privés. Il faut que cette question cesse de peser sur la Grèce. Le pays e est toujours confronté à un risque non négligeable de défaut désordonné. La Grèce ne doit pas quitter l'euro. Ce n'est pas une bonne solution pour elle. En revanche, elle doit restructurer sa dette d'une façon ou d'une autre. Le meilleur chemin est de parvenir à un accord avec le secteur privé.

L'Italie

L'Italie n'est pas la Grèce. Les différences sont substantielles. Mais son économie connaît de graves problèmes. La productivité a chuté ces dernières années. La population active représente environ 60% de la population totale, mais ce taux est inférieur à 30% parmi les personnes âgées de 60 à 64 ans. L'investissement en R&D est faible, inférieur à 1% du PIB, trois fois moins qu'en Suède. Parallèlement, le secteur public est très endetté, mais pas le secteur privé, et l'Italie dégage un excédent primaire. Giulio Tremonti, le ministre des Finances du gouvernement Berlusconi, n'avait pas lancé de vastes programmes de dépenses. S'il l'avait fait l'Italie se trouverait dans une position très critique.

Mario Monti tente de faire ce qu'il faut en prenant davantage de mesures sur le plan budgétaire, et commence à s'attaquer au problème de la compétitivité. L'Italie a perdu au moins 50% de ses parts de marché à l'exportation depuis la moitié des années 90. On ne peut pas réparer cela avec une ou deux réformes, il faut des années pour parvenir à améliorer l'enseignement, réduire le poids réglementaire, accroître la qualité des services publics, renforcer la collecte des impôts, libéraliser des secteurs fermés, ouvrir l'ensemble de l'économie. Les projets de dérégulation vont très loin, dans le domaine des services notamment. Mario Monti a conscience des problèmes italiens et emmène le pays dans la bonne direction.

La France

La France ne peut pas être mise dans le même ensemble que les pays à problèmes de l'Europe. C'est un pays qui a encore de la croissance, dont la compétitivité est très proche de celle de l'Allemagne, qui n'a pas de larges déficits courants, dont l'endettement du secteur privé est très bas, même en regard de la Suède. La France a eu une longue période de déficits publics mais le gouvernement est très conscient de cela et veut y remédier. Des réformes importantes ont été réalisées : le système des retraites a commencé à changer ; l'âge moyen de la population active augmente ; des changements dans le régime fiscal ont rendu plus compétitive l'économie ; des programmes spéciaux d'enseignement et de recherche ont été mis en oeuvre. La France bouge avec l'Allemagne dans la bonne direction.

François Baroin

François Baroin est un homme politique de grande expérience. Il a un rôle très important au sein du Conseil des ministres. Sa position en Europe se renforcera certainement dans le prochain classement des Ministres des finances du Financial Times.

L'évolution du modèle suédois

Pendant les années 70 et 80 la Suède est passée par une longue série de dévaluations. Nous allions d'une crise à l'autre, la productivité baissait et la réponse était la dévaluation, pratiquée quatre à cinq fois en deux décennies. Or, la compétitivité doit être restaurée par la hausse de la productivité, non par des dévaluations continues. Pour nous, l'alternative entre la couronne et l'euro ne se pose pas en termes de dévaluation ou pas. Nous avons été capables d'augmenter notre productivité dans des proportions substantielles en comparaison à d'autres pays (+2% en moyenne sur les deux dernières décennies). Pour y parvenir, nous avons maintenu les coûts sous contrôle. Les centrales syndicales, très fortes en Suède, ont fait preuve de responsabilité en gardant bien à l'esprit l'emploi et le chômage quand elles négocient. Des syndicats forts doivent aussi être soucieux du développement économique de long terme.

Les économies de la Suède et de la Finlande ont évolué dans le même sens, même pendant la crise. Le PIB, l'inflation ont été très proches. Si l'on gère bien le pays, on peut rester en dehors de la zone euro. Nous sommes aussi membres de l'Union européenne. Le fait d'être à l'extérieur de la zone euro ne doit pas être une excuse pour ne pas s'intéresser aux politiques des voisins. L'euro est un bon projet pour l'Europe, et nous pourrions éventuellement le rejoindre. Mais la crise a déprécié l'euro aux yeux des Suédois. Les derniers sondages font état d'une opposition de plus de 80% à l'entrée dans la zone euro. En 2008, la majorité était favorable à son adoption. Nous devrions rejoindre l'euro mais il faut être réaliste : il faudra du temps pour ça. Même en excluant les Britanniques, on a 100 millions d'Européens hors de l'euro. C'est très important de se rappeler de ça quand on discute de convergence budgétaire. Il ne faut exclure aucun pays. Il ne faut pas deux Europe évoluant en parallèle.

Dans le monde de l'économie, une Europe forte est une Europe unie. La convergence financière est nécessaire mais nous avons quelques problèmes au parlement car les sociaux-démocrates sont très prudents et plus ambigus en la matière. Le compromis trouvé sur la majorité qualifiée pour l'application de sanctions aux pays indisciplinés dans le domaine des finances publiques est raisonnable. Je n'ai pas été content quand les Britanniques ont bloqué la solution qui consistait à opérer quelques changements dans les Traités ou les protocoles qui y sont joints. Nous aurions préféré un changement des protocoles, mais c'est du passé. Nous serons partie prenante du Traité de stabilité financière de l'Union. Les négociations continuent mais nous sommes proches d'un très bon accord.

La Suède en 2012

Nous attendons une faible croissance cette année, après deux ans de forte progression. Le taux de chômage augmentera quelque peu, à 7,5/8% de la population active. Rien de dramatique cependant, et rien de comparable au taux de chômage de 2009. Le déficit de nos finances publiques restera modeste. Nos problèmes, en 2012, ne sont pas différents de ceux de l'Union européenne. L'inflation ne sera pas forte, dans un environnement marqué par l'affaiblissement de la demande. Je ne crois pas à un choc sur les prix de l'énergie consécutif aux sanctions contre l'Iran.

La recette gagnante suédoise

La Suède a réalisé beaucoup de réformes du marché du travail avant la crise, et ce processus doit se poursuivre pendant et après ; la discipline budgétaire a été restaurée et nous avons réduit les impôts de 2% du PIB environ. Pour mémoire, dans les années 90 la Suède avait la pire situation budgétaire de l'Union avec la Grèce. Enfin, la cohésion sociale est essentielle si l'on veut poursuivre les réformes. C'est beaucoup plus facile de combattre la crise avec une société unifiée que si elle est divisée. Les réformes doivent être faites au moyen d'un contrat social global.

La cohérence sociale est une part importante de notre politique. Les personnes aisées doivent montrer concrètement leur solidarité avec le reste de la société ; il faut aussi de la mobilité sociale, favorisée par une formation et une éducation de qualité. Enfin, le reste de la société doit pouvoir vivre décemment. La leçon suédoise pour les pays européens en difficulté, et généralement en proie à la division interne, est que l'on ne peut pas réformer dans un climat de confrontation. C'est l'une des raisons pour lesquelles Mario Monti semble avoir plus de succès que d'autres. La gauche et le centre-droit le soutiennent.

La Taxe Tobin

Il est important que le secteur financier endosse une partie du coût de la crise. Je suis à 100% pour taxer le secteur financier. C'est un argument fort en faveur de la hausse de son imposition. D'un autre côté, notre expérience de la fin des années 80 avec la taxe sur les transactions financières nous a appris qu'une taxation lourde est problématique. A l'époque, 90 à 95% des échanges en obligations et 60/65% des échanges en actions ont migré à Londres, et y sont restés pendant un certain temps. Il faut construire une fiscalité qui ne fasse pas fuir l'activité financière vers d'autres marchés. Il est possible de l'appliquer au niveau européen. Au Royaume-Uni existe le « droit de timbre » [un impôt prélevé à l‘enregistrement des titres NdlR]. Il faut rester proche de cette taxe pour rallier le Royaume uni au projet européen. Si la taxation était trop importante elle endommagerait la compétitivité de l'Union européenne. La convergence fiscale entre les pays membres est toujours préférable.

Le FESF, le MES, les banques et la crise

Plus le pare-feu est haut, mieux il protège. Certains pays rechignent à accroître les moyens du FESF et du MES mais au final tous consentiront à les renforcer. Il est essentiel que la BCE soit encore plus active, qu'elle en fasse davantage pour la stabilité des prix. Mario Draghi fait un excellent travail dans ce sens. Le FMI est aussi une partie de la solution. Le Fonds est une institution efficace pour gérer les problèmes auxquels est confrontée l'Europe. La Suède s'engage à verser jusqu'à 11 milliards d'euros pour renforcer ses moyens. On a fait des progrès substantiels pour combattre la crise. On a renforcé les infrastructures financières avec la création de nouvelles entités, mais nous avons besoin de plus de solutions européennes pour le secteur financier. Nous devons aussi accroître la supervision du secteur bancaire, et y mettre plus de moyens. Les banques ont un problème de liquidités, mais si l'on regarde les données, les crédits bancaires augmentent en ce moment en Europe contrairement à ce qui s'est produit en 2009.

A plus long terme, il faut certainement que les banques se dotent de davantage de capitaux. C'est la leçon qu'il faut tirer de la dernière crise bancaire. D'un autre côté, il est inacceptable du point de vue des contribuables et de la société que pour atteindre leurs objectifs de profitabilité les banques prennent des risques excessifs. Pour qu'elles soient plus prudentes, il faut contraindre ceux qui les contrôlent à y investir plus de capitaux. Plus de régulation, des règles plus strictes, davantage de surveillance et de capitaux, voilà les solutions.

PROPOS RECUEILLIS PAR JACQUES HUBERT-RODIER ET MASSIMO PRANDI

Les Echos

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Commentaires
E
@ tamalounatik : <br /> <br /> Les pays d'Europe du Nord ont un point commun que vous oubliez: ils n'ont pas adopté l'euro, dont la surévaluation est la cause principale de la désindustrialisation et de la faible croissance des pays de la zone euro: c'est à coups de dévaluations successives que la Suède a sauvé son industrie et conserve une croissance de 4% par an.<br /> <br /> <br /> <br /> La croissance moyenne de la zone euro, depuis sa création, a toujours été plus faible que celle de l'ensemble de l' Union Européenne.<br /> <br /> <br /> <br /> Le choix de la monnaie unique n'est pas "de droite ou de gauche", c'est une erreur commise par la droite et la gauche.
T
Nous nous comparons souvent à la grande bretagne, à l'allemagne, à l'italie, à l'espagne. Certes, par la taille de la population, la puissance, le PIB, etc, on peut le comprendre.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais on s'y réfère aussi souvent en tant que modèle (grande bretagne au début du quinquennat, puis allemagne depuis (tant la gauche que le centre et la droite)). <br /> <br /> <br /> <br /> Nous entendons rarement parler des modèles nordiques. Certains nous disent "c'est petit, donc pas comparable" ; certes, mais ne pouvons-nous pas adapter leurs angles de visions, et réfléchir posément à certaines de leurs solutions, sans forcément être dans le déni de l'autre "La gauche l'a proposé, c'est nul et irréaliste; la droite l'a proposé, c'est injuste et encore pour les riches, etc.)<br /> <br /> <br /> <br /> Voilà un article éclairant et modéré, où on peut évoquer sans tabou et sans CONFRONTATION les éléments suivants : rigueur, flexibilité, régulation, baisse des prélèvements, éthique, recherche de l'intérêt collectif, taxe sur les transactions financières, formation et éducation de qualité, recul de l'age de la retraite, compétitivité, solidarité des personnes aisées envers les moins aisés, solidarité européenne SANS SE FAIRE TRAITER DE "INFEODE AUX PUISSANCES DE l'ARGENT" ou "D'IDEALISTE DE GAUCHE". <br /> <br /> <br /> <br /> Peut-être que nos tabous, nos rigidités, nos archaismes, notre culture, notre classe politique nous empêchent de parler de fond, de confronter les idées, de s'entendre sur l'essentiel pour le bien commun (que la plupart des politiques recherchent pourtant) ?<br /> <br /> <br /> <br /> Peut-être que ces idées justes, médianes, efficaces sont les solutions de demain (ou d'aujourd'hui). En tout cas, elles sont très très proches, me semble t-il, des valeurs de social libéralisme. Le projet du Cercle des Libertés Egales me paraît d'ailleurs bien refléter ce mix entre efficacité économique et valeurs d'éthique, de justice et d'égalité des chances.<br /> <br /> <br /> <br /> Néanmoins, parler du fond, trouver des compromis, sans confrontations, s'entendre sur les grands sujets essentiels, accepter l'avis de l'autre, est probablement trop demander à nos écuries présidentielles en cette période électorale ?
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