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Cercle des Libertés Egales
14 janvier 2015

Une unité nationale qui appelle une profonde réflexion

 

Charles Beigbeder, sur son blog http://charles-beigbeder.com/?p=1592

Le 11 janvier 2015 restera dans la mémoire collective comme une grande date de l’histoire de France : nos compatriotes sont en effet descendus massivement dans la rue pour y défendre la liberté d’expression et le droit à la sécurité collective, contre la barbarie du terrorisme islamique.

 Un bel exemple d’unité nationale

 Il est très rare de voir un pays comme la France, se rassembler au-delà de tous les clivages politiques ou religieux pour y célébrer son existence et rappeler l’attachement à ses valeurs. Nous sommes tellement habitués à considérer la rue comme une extension de l’hémicycle que nous oublions qu’avant d’être le théâtre de nos affrontements politiques, elle est cet espace public qui nous rassemble tous. Nous avons tellement l’habitude de nous déchirer entre communautés rivales et de défiler dans la rue pour revendiquer des droits, qu’il est parfois bon de nous réapproprier l’espace public pour y célébrer notre joie de former une nation commune, pour y exprimer ce que Renan appelait « le plébiscite de tous les jours ». Un peu à la manière d’un couple qui ne discute ordinairement que pour aborder les questions qui fâchent, et qui, à la faveur d’un évènement dramatique, retrouve le sens des réalités et célèbre son amour. On vit à cette marche des scènes touchantes – notamment lorsque policiers et gendarmes furent acclamées par des manifestants munis du slogan désormais mondialement célèbre Je suis Charlie -, ce qui est cocasse quand on connaît la dérision systématique adoptée par Charlie-Hebdo à l’endroit des forces de l’ordre.

 Les Français plus responsables que les partis politiques

 Les Français ont pris la mesure du danger et ont réagi à la hauteur de la situation. Pour beaucoup d’entre eux, la police incarne au quotidien ceux qui les empêchent de rouler aussi vite qu’ils ne le souhaitent et les verbalisent lorsqu’ils ne stationnent pas au bon endroit. Mais vient le péril extrême, suivi du courage héroïque des forces de l’ordre, qu’ils comprennent le rôle éminent des policiers sans lequel aucun État n’est viable. Idem pour Charlie Hebdo. La plupart ne le lisent pas (10 000 abonnements avant les attentats) ; beaucoup y déplorent même la vulgarité de certaines caricatures gratuitement offensantes. Mais tous comprirent qu’à travers Charlie Hebdo, c’était notre civilisation qui était attaquée et notre liberté d’expression qui était en jeu, les terroristes islamiques désirant museler toute parole contraire à leur folle idéologie. D’ailleurs, l’unité nationale aurait été plus renforcée si au lieu d’adopter le slogan Je suis Charlie qui peut heurter certaines consciences, on avait d’abord fait référence à la communauté nationale en proclamant Je suis Français.

 La dignité du peuple français contraste encore une fois avec celle des partis politiques incapables de se hisser au niveau du bien commun et de faire taire leurs vaines querelles politiciennes. Ainsi, de Jean-Christophe Cambadélis, de Julien Dray ou de Carlos Da Silva estimant que « le FN n’est pas le bienvenu » pour organiser cette marche républicaine, repoussant ainsi 25% des Français dans le camp « anti-républicain ». Ainsi du Président de la République refusant de nommer par son nom le fondamentalisme islamique, lui préférant les termes fuyants d’« illuminés », de « fanatiques » et de « terroristes ». Enfin, le discours médiatique dominant, évoquant sur un ton lénifiant le « vivre ensemble » et « la fraternité » (pourtant réelle ce jour-là), sans poser les vraies questions qui les mettent tant à mal dans notre beau pays de plus en plus gangréné par le communautarisme. Une réalité s’impose donc : les partis politiques ne sont plus capables de conduire les citoyens au niveau que requiert le bien commun ; ils les divisent plus qu’ils ne les rassemblent. Alors les citoyens s’organisent sans eux…

 Des leçons à tirer

 Si l’on souhaite que ce mouvement de résistance du peuple français s’enracine dans la durée, il faudra tirer toutes les conséquences de cet évènement et comprendre la stratégie des islamistes visant à creuser un fossé au sein de notre population. Comme le souligne Guillaume de Prémare, le choix de Charlie Hebdo ne relève pas du hasard : « Charlie Hebdo est honni par l’opinion musulmane, les musulmans n’ont pas besoin d’être islamistes pour détester Charlie Hebdo. En attaquant Charlie Hebdo, les terroristes veulent désensibiliser les musulmans à la compassion pour les victimes » et entraîner une radicalisation de chaque camp, la France s’identifiant massivement à un journal honni qui devient le symbole de la liberté d’expression, alimentant à son tour un climat de tension par de nouvelles caricatures. On risque une « montée aux extrêmes » comme l’explique si bien René Girard dans son ouvrage Achever Clausewitz.

 Un nécessaire débat sur la liberté d’expression

 On ne peut donc s’affranchir d’un véritable débat sur la liberté d’expression : peut-elle être absolue ? Le droit à l’impertinence justifie-t-il tous les propos, y compris les plus irrévérencieux ? En d’autres termes, peut-on rire de tout comme le fait Charlie Hebdo, au risque de considérer le monde comme une gigantesque farce, à la manière de Gargantua ?

 La réponse n’est pas d’abord intellectuelle mais elle vient de l’expérience profonde des sociétés, guidée par le sens du tragique : quand une nation pleure ses enfants, quand un père pleure son fils, une femme son conjoint, une mère son enfant, le rire n’est plus de mise. Il y a des évènements qui sont sacrés dans la vie des sociétés car ils renvoient au sens du tragique de notre condition humaine, à la mémoire collective qui nous constitue : les Poilus qui versèrent leur sang pour la patrie, les Juifs victimes par millions de la Shoah, les Chrétiens d’Orient aujourd’hui décimés par le terrorisme islamique. Devant la mort, on ne rit plus, on se recueille et l’on prie. Le culte des morts vient rappeler la dimension sacrée de la vie humaine et la profondeur insondable des liens tissés entre les vivants.

 Le sens du tragique révèle l’importance du sacré dans toute société

 La manifestation d’avant-hier apporte un démenti cinglant à la liberté d’expression absolue revendiquée par Charlie Hebdo : personne n’aurait en effet songé à tourner en dérision un tel drame (hormis des internautes auteurs de tweets scandaleux), preuve qu’il existe un « sacré collectif » qui nous rassemble. Dans sa chronique à L’Opinion d’hier, Gaspard Koenig estime que « la liberté d’expression peut être dérangeante, choquante, désagréable et blessante, et qu’elle ne doit s’arrêter que là où commence l’insulte individuelle (et non collective) ». En bon libéral-libertaire, il n’admet donc qu’une seule limite à la liberté d’expression : l’honneur des personnes. Mais une nation ne se limite-t-elle qu’à protéger l’individu ? N’est-elle pas dépositaire d’un « sacré collectif » par lequel elle vit et se régénère ? À la suite de représentations outrageantes du drapeau français dans le cadre d’un concours artistique organisé par la Fnac de Nice, Nicolas Sarkozy avait décidé en 2010 de sanctionner pénalement l’outrage au drapeau. N’est-ce pas le minimum ? L’idéologie prônée par Charlie Hebdo ne résiste pas à l’épreuve des faits : une nation se régénère quand elle célèbre ensemble les valeurs auxquelles elle est attachée et qu’elle considère comme sacrées et elle se détruit quand elle les piétine. L’exemple en a été magnifiquement donné dimanche.

 Une tradition d’irrévérence

 En même temps, la France, plus encore qu’un autre pays, tient de Rabelais, Molière et Voltaire une tradition d’irrévérence qui fait son charme et sa singularité : le rire permet une distanciation par rapport au réel, la polémique casse les idées reçues et la caricature pointe du doigt les travers d’une société : sans Jean de La Fontaine, pas de critique de l’absolutisme royal, sans Molière, impossible de se moquer des Précieuses ridicules, sans Eric Zemmour ou Michel Houellebecq, impossible de braver la bien-pensance. La critique est donc saine et la caricature indispensable quand elle œuvre au bien commun de la société. Elle constitue même un contre-pouvoir formidable que redoutent tous les dictateurs : « quatre journaux hostiles sont plus à craindre qu’un millier de baïonnettes » affirmait Napoléon.

 Distinguer la protection des personnes et la défense du bien commun de la nation

 Est-il possible de distinguer la saine critique de celle qui serait répréhensible ? C’est une question que ferait bien de se poser à l’avenir Charlie Hebdo ! La réponse est différente selon qu’il s’agisse de la protection des personnes ou de la défense du bien commun de la nation.

 La protection des personnes est régie par la loi du 29 juillet 1881 qui sanctionne toute diffamation, provocation, outrage, injure ou discrimination portant atteinte à une personne (ou à un groupe de personnes). Parce que la langue tue parfois plus que l’épée, il est indispensable de maintenir ce dispositif, d’ailleurs nullement contesté en son principe. « Les paroles d’un intellectuel sont des flèches, ses formules sont des balles. Il a le pouvoir de transformer l’esprit public. Il ne peut pas à la fois jouir des avantages de ce pouvoir-là et en refuser les inconvénients », résumait le général de Gaulle à propos de Robert Brasillach. Parce que la personne humaine est sacrée, elle a droit au respect inconditionnel de son honneur.

 Ne surtout pas légiférer et abroger les lois mémorielles

 La défense du bien commun de la nation est plus complexe : elle renvoie à la notion de « sacré collectif », décrite plus haut et en vertu de laquelle une nation est offensée quand on touche à ses symboles et à ses valeurs. Ce sacré est généralement mouvant car il épouse les évolutions de notre société. Il n’est pas nécessairement écrit car il repose souvent sur un ensemble de valeurs implicites qui se rattache tant à l’inconscient collectif d’un peuple qu’à l’idéologie que véhiculent ses autorités politiques et médiatiques. Il est donc difficilement saisissable par le droit. L’égalité, l’absence de discrimination ou l’antiracisme paraissent aujourd’hui des principes sacrés, là où en 1914, on divinisait l’amour de la patrie, tandis que sous le règne de Louis XIV, on encensait la figure du monarque absolu. Chaque époque sécrète donc des dogmes inavoués qu’elle protège de ses pourfendeurs par la vindicte et l’opprobre médiatiques. Faut-il légiférer en ce domaine ? Surtout pas ! Hormis l’outrage au drapeau, on ne doit, en aucune mesure, sanctionner pénalement des propos qui portent atteinte à la bien-pensance d’une époque car on se priverait d’une critique qui pourrait être salutaire. C’est en ce sens que toutes les lois mémorielles qui fixent (et figent) l’histoire en en donnant une version officielle doivent être abrogées. Ce n’est pas au législateur de fixer l’histoire ; c’est le travail des historiens. Est-ce à dire que tout propos est acceptable dans son principe ? Sûrement pas ! Ce n’est pas parce qu’un propos n’est pas pénalement répréhensible qu’il est opportun ! C’est un travers tout à fait français de considérer que tout ce qui n’est pas pénalement interdit est moralement bon : un propos peut ne pas tomber sous le coup de la loi pénale mais se révéler maladroit, indélicat, déplacé, voire criminel (au sens moral du terme).

 Un appel à la responsabilité de chacun

 C’est donc un appel à la responsabilité et au bon sens de chaque journaliste qu’il convient de lancer, notamment lorsqu’il s’agit de convictions religieuses. La République laïque considère les religions comme des opinions privées que l’on peut décrier au même titre que n’importe quelle idéologie politique ; de ce fait, elle ignore la relation intime que peut parfois nouer un croyant avec son Dieu et la blessure profonde que peut lui infliger une caricature de ce qu’il considère comme sacré. Certes, il peut être parfois salutaire de moquer le travers de certaines croyances et l’autodérision grandit toujours celui qui la pratique. Mais, il s’agit d’un domaine extrêmement délicat puisqu’il fait appel à la dimension spirituelle de l’homme dont la profondeur échappera toujours à celui qui reste extérieur à un tel sentiment. Cela ne signifie pas pour autant que toute dérision soit interdite : elle doit simplement être menée avec discernement, d’autant que notre société fait aujourd’hui coexister sur un même sol des communautés comportant un système radicalement différent de valeurs. Au passage, on notera les difficultés engendrées par un multiculturalisme résultant de l’abandon par notre pays de sa tradition d’assimilation des minorités et débouchant sur l’effritement du bien commun.

 Fidèle à sa tradition et fière de ses valeurs, la France doit donc conjuguer dans un subtil équilibre affirmation de la liberté d’expression et respect des principes sacrés qui régissent son existence. C’est à ce prix qu’elle sortira grandie de l’épreuve qu’elle traverse actuellement.

Charles Beigbeder

 

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